Le château de la Roche-Jagu

~ La Roche-Jagu ~


« Trop grand pour avoir été un simple
manoir, il ne présente pas cependant les
apparences d′un château-fort
» 1.


Le château de la Roche-Jagu, élévation antérieure et mur-pignon nord-ouest (début du XVème siècle) (2008)



          A défaut de documentation historique, la tradition rapporte qu′un dénommé Jagu fit construire une forteresse dominant la vallée du Trieux vers fin du XIème siècle 2. Probablement détruite au cours de la guerre de Succession de Bretagne Jean III le Bon, duc de Bretagne décédé sans héritier le 30 avril 1341, Jean de Montfort, son demi-frère, et Charles de Blois, neveu du roi de France et époux de Jeanne de Penthièvre, nièce du défunt duc, réclamèrent le titre ducal. Cette revendication bi-partite fut à l′origine d′un conflit, connu sous le nom de guerre de Succession de Bretagne, qui opposa de 1341 à 1365 les partisans de Jean de Monfort à ceux de Charles de Blois. Ce dernier ayant été tué à la bataille d′Auray le 29 septembre 1364, le traité de Guérande, signé entre les deux partis le 12 avril 1365, établit le fils de Jean de Monfort comme héritier légitime du titre ducal sous le nom de Jean IV de Monfort (1339-1399), cette forteresse fut remplacée par un grand logis fortifié au début du XVème siècle.

          L′actuel château ou manoir de la Roche-Jagu fut en effet reconstruit à partir de 1405 pour noble dame Catherine de Troguindy après autorisation du duc de Bretagne Jean VJean V de Monfort (1389-1442), duc de Bretagne de 1399 à 1442, « à la charge que le duc y auroit tousjours son entrée libre sans empeschement de ladite Catherine » 3. Classé monument historique le 25 juin 1930 4, il est la propriété du Conseil Général des Côtes-d′Armor depuis 1958.


Le château de la Roche-Jagu d′après le cadastre de 1832 (source : Archives départementales des Côtes-d'Armor)


          D′une grande qualité architecturale, l′édifice constitue un des archétypes du manoir breton de la fin du Moyen Âge. L′analyse et la lecture des élévationsFace verticale ou ensemble des faces verticales d′un bâtiment suggèrent ici la volonté du maître-d′oeuvre Celui qui conçoit et dirige la construction d′un édifice (architecte, entrepreneur, etc.) d′associer nécessité de défense, souci du confort et de l′agrément et affirmation du statut social du propriétaire.

          Ce logis manorial, principalement édifié en moellons de grès rose d′extraction locale, est actuellement un logis à quatre niveaux appartenant à la catégorie des manoirs dits de plan ternaireou tripartite soit trois pièces au rez-de-chaussée ou trois pièces par étage. Couvert d′un toit à longs pans et pignonsPartie supérieure, généralement de forme triangulaire, d′un mur-pignon ou d′un mur de refend, correspondant à la hauteur du comble. Il est dit couvert quand il porte les versants du toit, découvert lorsqu′il se prolonge au-dessus de ceux-ci découverts, il est divisé par deux murs de refendMur porteur montant de fond et formant une division intérieure montant de fond en comble, pourvus de communication et portant souches de cheminées. Il est également doté de deux escaliers de distributionOrganisation de l′espace intérieur d′un bâtiment (place des entrées, communication entre les pièces et les étages, etc.) intérieurs en vis, d′une salle basse, d′une première salle haute et d′une ancienne salle haute sous charpente en bois apparente. Il conserve, en outre, les vestiges d′une ancienne coursièrePassage étroit pris dans l′épaisseur d′un mur ou porté par des supports verticaux en encorbellementSurplomb allongé porté par une suite de supports (corbeaux, consoles, têtes de solives, etc.) et possède un chemin de rondeCoursière régnant intérieurement au sommet d′une enceinte ou d′un mur rapporté probablement à la fin du XVème siècle.


Elévation antérieure sur cour (début du XVème siècle) (2008)


          Le rez-de-chaussée enferme trois pièces principales de dimensions inégales, à savoir deux pièces à feuPièce pourvue d′une ou de plusieurs cheminées, soit une cuisine et une grande salle, et un cellierLocal où l′on garde le vin, mais aussi les aliments par extension. La façade antérieure sur cour, animée par une tour d′escalier latérale circulaire demi-hors-oeuvreSe dit d′un corps de bâtiment partiellement engagé dans un autre corps de bâtiment plus important située au droit du mur de refend, est ouverte de nombreuses baiesOuverture de fonction quelconque dont la taille, la présence ou l′absence de décor, contribuent à identifier les fonctions des différentes pièces. Au rez-de-chaussée, les quatre grandes fenêtres rectangulaires verticales, toutes protégées par des grilles en fer forgé d′origine, signalent la cuisine et la salle, cette dernière étant ouverte, outre de deux croiséesFenêtre divisée en croix par un meneau ou un montant et un croisillon, de la porte d′entrée en arc brisé agrémentée d′un décor. Comme dans de nombreux manoirs bretons construits à cette époque, cette porte d′entrée est située à proximité immédiate de l′escalier principal. Les trois petites fenêtres à grille, y compris la fenêtre horizontale placée au ras du sol, indiquent, quant à elles, la présence du cellier dont une partie est creusée dans le sol pour garantir la conservation des denrées alimentaires.


Grille en fer forgé protégeant une fenêtre de la cuisine (2008) Porte d′entrée (2008) Baies éclairant le cellier (© S. B., 2008)


          A l′instar du rez-de-chaussée, le premier étage enferme trois pièces principales plafonnées et chauffées, à savoir une chambre à chaque extrémité et une salle. Ces pièces, dont les dimensions sont identiques à celles du rez-de-chaussée, prennent jour à l′avant par l′intermédiaire de croisées, dont une, de taille plus importante, reçoit un traitement ornemental de style gothique qui suggère toute l′importance de cette pièce dans l′organisation du logis. Cette dernière est en effet destinée à abriter la chambre seigneuriale.


Croisée de la chambre seigneuriale (© S. B., 2008)


          Autre caractéristique de ce logis, la façade antérieure présente au deuxième étage les vestiges d′une coursière en encorbellement distribuant les pièces horizontalement. Les portes hautes donnant actuellement dans le vide, le léger retrait du parementSurface visible d′une construction en pierre, en terre ou en brique de l′étage et les pièces de bois fichées dans la maçonnerie, tout comme l′existence de plusieurs corbeauxPierre, pièce de bois ou de métal, en partie engagée dans un mur et portant une charge par sa partie saillante de pierre, permettent de déceler l′aménagement de cet élément de charpente en bois au manoir de la Roche-Jagu.


Portes hautes (2008) Vestiges de la coursière en encorbellement : retrait du parement du mur, pièces de bois sciées et corbeaux de pierre (© S. B., 2008) Vestiges de la coursière en encorbellement : retrait du parement du mur, pièces de bois sciées et corbeaux de pierre (© S. B., 2008)


          Dépourvu d′ouvertures au rez-de-chaussée et au premier étage, le mur-pignon de droite est ajouré de deux croisées au deuxième étage et d′une baie rectangulaire verticale. Il est, en outre, sommé de deux souches de cheminée. La présence de corbeaux en pierre atteste le prolongement de la coursière en encorbellement sur cette élévation. Ce logis présente également, sur l′angle postérieur droit, une tour circulaire demi-hors-oeuvre en encorbellement enfermant des pièces. Flanquée d′un contrefortOrgane d′épaulement et de raidissement en saillie massif à ressaut pourvu de pierres d′attenteExtrémité harpée d′une maçonnerie ménagée pour permettre une liaison avec une construction projetée. Le terme harpé désigne une superposition d′éléments dont les têtes sont alternativement courtes et longues, elle est couronnée d′un mâchicoulisElément défensif formé par le parapet d′un mur en surplomb et la partie du sol percée d′ouvertures pour le tir. Le parapet est le mur plein formant garde-corps coiffé d′un toit conique dit également en poivrière.


Mur-pignon droit (2008) Elévation postérieure (2008)


          Dominant un méandre de l'estuaire du Trieux au nord-est, la façade postérieure du manoir de la Roche-Jagu est marquée par une sobriété résultant principalement de préoccupations défensives. Outre un nombre réduit d′ouvertures, dont une étroite porte de service à linteau droit sur coussinets au rez-de-chaussée, trois croisées et une fenêtre à traverse au premier étage, elle présente un chemin de ronde sur mâchicoulis. La sobriété de cette façade, dont la disposition des baies contraste avec l′ordonnancementL′ordonnancement désigne une composition quelconque en plan comme en élévation. L′ordonnance est un parti d′élévation caractérisé par une composition rythmée de la façade antérieure, est interrompue par une travée en léger ressaut présentant un pan de bois en partie haute, à l′instar de la tour circulaire qui la flanque à droite. Cette travée est notamment ouverte d′une fenêtre en arc brisé à remplageEnsemble des parties fixes qui divisent la surface d′une baie et qui sont dans le même matériau que l′embrasure de pierre éclairant la chapelle seigneuriale. La tour circulaire dans-oeuvreSe dit d′un corps de bâtiment totalement engagé dans un autre corps de bâtiment plus important placée au droit de l′autre mur de refend, dont la partie haute, coiffée d′un toit conique, dépasse le versant postérieur du toit, enferme un second escalier en vis éclairé par deux jours en archère.


Grille en fer forgé et chemin de ronde sur mâchicoulis (2008) Porte de service (2008) Baie à remplage de pierre de la chapelle seigneuriale (© S. B., 2008) Jours en archère éclairant l′escalier secondaire (2008)


          Quant au mur-pignon de gauche, taluté et épaulé d′un contrefort, il est aveugle. Couronné de quatre souches de cheminée, dont deux jumelées, il présente des traces de collage ou de reprises de la maçonnerie à la jonction du chemin de ronde.


Mur-pignon gauche (2008) Souches de cheminées (2008)


          Au chapitre des éléments architecturaux remarquables dont est doté cet imposant logis manorial, il convient enfin de mentionner la présence de dix-neuf souches de cheminée de section octogonale, tantôt isolées, tantôt groupées, nombreuses étant élancées et toutes ornées d′éléments d′ardoise incrustés dans de l′enduit.



1.  JOLLIVET, Benjamin. Les Côtes-du-Nord, histoire et géographie de toutes les villes et communes du département. Guingamp : B. Jollivet, 1854, tome III, p. 236.

2.  COUFFON, René. Le château de la Roche-Jagu. Saint-Brieuc : Les Presses Bretonnes, 1968, p. 2.

3.  BLANCHARD, René. Lettres et mandements de Jean V, duc de Bretagne. Nantes, 1891, t. I, n° 108, p. 58.

4.  Ministère de la Culture et de la Communication, base Mérimée, référence PA22089447 : château classé par arrêté du 25 juin 1930, portail, pavillons attenants et mur d′enceinte classés par arrêté du 27 janvier 1969.


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