L′actuel château Pierre IIPierre II de Monfort (1418-1457), duc de Bretagne de 1450 à 1457.,
du nom du duc de Bretagne auquel est traditionnellement rattachée sa construction, est un monument emblématique du patrimoine
architectural de Guingamp. Les origines de la ville se confondent en effet avec celles de cette forteresse du
milieu du XVème siècle dont les importants vestiges font l′objet d′une protection au titre de la
législation sur les monuments historiques 1.
A la suite d′une opération de diagnostic réalisée au début de l′année 2002,
des fouilles archéologiques ont été entreprises au cours du 1er trimestre de l′année
2005 par l′Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP). Outre le fait de placer le
château et la ville de Guingamp au coeur de l′histoire médiévale bretonne, ces fouilles ont permis de
mettre au jour trois phases d′occupation majeure du site 2.
C′est au cours du XIème siècle, très probablement vers 1034,
à l′occasion de la fondation de la ville de Guingamp dans le sillage d′une donation
de terres faite par le duc de Bretagne Alain III pour son frère Eudes, qu′une première enceinte et un château imposant furent construits à cet endroit sur des
fossés non défensifs datant vraisemblablement du Xème siècle 4.
La documentation historique mentionne ainsi, distinctement de l′enceinte urbaine, l′existence d′une motte castrale
évoquée pour la première fois en 1123 sous la dénomination
de « motte au Comte » 5.
L′enceinte urbaine, défendue par une tour-porte dont l′existence a été mise en exergue par les traces d′implantation
de poteaux en bois, était alors entourée d′un fossé défensif creusé dans la roche et
protégée par un rempart intérieur d′une largeur de six mètres 6.
Au cours du XIIème siècle, probablement dans le cadre de la mise sous tutelle du duché
de Bretagne par les Plantagenêt, cette enceinte primitive fut rasée et remplacée
par une enceinte de plan polygonal irrégulier édifiée en pierre 7.
Qualifié de « chastel de la mote de Guingamp » jusqu′à la fin du XIVème siècle,
le château reconstruit fut, outre le lieu de résidence privilégié de Charles de Blois, le lieu
où se retira Jeanne de Penthièvre, la veuve de ce dernier, après la bataille d′Auray en 1364 8.
Détruite sur ordre du duc de Bretagne Jean VJean V de Monfort (1389-1442), duc de Bretagne de 1399 à 1442.,
à la suite de l′attentat de ChamptoceauxEn 1420 le duc de Bretagne Jean V fut enlevé à Champtoceaux par le comte de Penthièvre. Jeanne de France, duchesse de Bretagne, prit alors l′initiative d′assiéger les places rebelles et fit libérer son mari, qui en guise de représailles, procéda à la confiscation des biens des Penthièvre.,
cette enceinte fut remplacée vers le milieu du XVème siècle par une forteresse d′artillerie 9.
Désormais intégrée au domaine ducal, la ville de Guingamp devenait pour un temps le siège d′une
rivalité politique. La reconstruction de ce château à vocation militaire, contemporaine de celle du rempart
urbain, devait en effet très certainement servir à asseoir l′autorité des ducs de Bretagne face
à la puissante communauté des bourgeois de Guingamp 10.
Edifié sur un éperon rocheux surplombant d′une vingtaine de mètres la vallée
du Trieux, entre la place du Vally et la basilique Notre-Dame-de-Bon-Secours, le château
Pierre II résulte d′un programme architectural homogène.
Construit vers le milieu du XVème siècle, ce
château est le digne témoin d′un modèle de château directement lié au pouvoir ducal.
Bien que la tradition attribue son édification à la seule initiative et à la seule volonté du duc
de Bretagne Pierre II, la documentation historique et les données recueillies sur site à l′occasion des
fouilles archéologiques suggèrent une période de construction s′échelonnant des années
1440 au début des années 1470. C′est en effet en 1443 que le duc de Bretagne Francois IerFrancois Ier de Monfort (1414-1450), duc de Bretagne de 1442 à 1450 autorisa
son frère Pierre, auquel le duc Jean V constitua dès 1421 un apanage ayant pour principal domaine la seigneurie
de Guingamp, à entreprendre la reconstruction d′une forteresse. Les travaux débutèrent en 1446, date à laquelle
Jean de Beuves fut nommé maître-d′oeuvre
Celui qui conçoit et dirige la construction d′un édifice (architecte, entrepreneur, etc.) du chantier, pour s′achever en 1472, année au cours de
laquelle un mandement de la chancellerie de Bretagne en ordonna la fin 11. Mais, à la lumière des fouilles
opérées sur site, cette forteresse d′artillerie ne fut jamais achevée. Si l′état
actuel de l′édifice résulte du démantèlement ordonné
en 1626 par le roi Louis XIII suite à la révolte de César de VendômeCésar de Vendôme (1594-1665) était le demi-frère du roi Louis XIII et le gouverneur de la province de Bretagne au début du XVIIème siècle. Par son mariage avec Françoise de Lorraine en 1609, il reçut le titre de duc de Penthièvre. Grand intrigant, il fut impliqué en 1626 dans une conspiration contre Richelieu, connue sous le nom de « conspiration de Chalais », et fut emprisonné au château de Vincennes. En guise de représailles, à l′instar des autres conspirateurs, ses biens furent alors saisis et démantelés sur ordre du roi Louis XIII.,
alors duc de Penthièvre et seigneur de Guingamp, les recherches ont permis d′établir avec certitude
que le logis ne fut jamais construit 12 et que les courtinesDans l′architecture militaire médiévale, une courtine est une muraille de défense portant généralement crénelage et chemin de ronde et reliant deux tours. et les tours étaient, à l′inverse du rempart urbain, dépourvues de mâchicoulisElément défensif formé par le parapet d′un mur en surplomb et la partie du sol percée d′ouvertures pour le tir. Le parapet est le mur plein formant garde-corps.
Le château Pierre II, tel qu′il apparaît aujourd′hui, laisse cependant l′impression
d′une construction traitée avec le plus grand soin. L′édifice, conçu sur
un plan carré de 36 mètres de côté flanqué d′une tour circulaire
sur chaque angle à l′origine, présente en effet un parementSurface visible d′une construction
en pierre, en terre ou en brique extérieur en moyen appareil de granite. Les fenêtres, de forme rectangulaire
verticale, sont moulurées et chanfreinées et munies de crochets attestant la présence d′anciennes grilles
en fer forgé.
De l′édifice initial, il subsiste aujourd′hui en élévation trois des quatre tours
de flanquement, la tour est ayant été réhaussée à la fin
du XIXème siècle, ainsi que les courtines sud-ouest et sud-est, de 8 mètres de hauteur
chacune, conservées sur toute leur longueur d′origine, soit 36 mètres de long entre chaque
tour.
A l′instar des tours angulaires, dont le plan intérieur épouse une forme octogonale et dont la hauteur initiale
atteignait environ 20 mètres 13, la base des courtines encore en élévation est agrémentée
d′un talus de 2 mètres de haut couronné d′un bandeau mouluré.
Si la courtine nord-est est subsiste en élévation sur une longeur de 13 mètres, la courtine nord-ouest et la tour nord
arasées ont été dégagées lors de la fouille. Cette dernière courtine, qui se développe sur toute
sa longueur d′origine entre la tour ouest et la tour nord, a été quasi-entièrement déparementée, mais,
comme pour la courtine nord-est, les vestiges encore en place permettent de restituer un mode de construction identique aux autres
élévations extérieures 14.
Il est d′ailleurs possible de remarquer sur toutes ces élévations des signes lapidairesQui concerne la taille de la pierre,
plus communément appelés « marques de tâcheronsUne marque de tâcheron est un signe géométrique distinctif gravé dans la pierre par un tailleur de pierre. Chaque tailleur de pierre étant rémunéré à la tâche, ce signe sert à quantifier la charge de travail effectuée pour le calcul du salaire. Mais, en dehors de considérations purement pécuniaires, il faut également y voir un moyen pour identifier l′auteur de l′ouvrage. ».
Adapté au progrès de l′artillerie à partir du milieu du XVème siècle, le château
Pierre II se place en fait à l′aube de l′histoire des forteresses à canon en Bretagne 15. Les fouilles archéologiques ont
ainsi révélé la mise en oeuvre d′un procédé de blindage des maçonneries. Etant les plus
exposées au tirs ennemis, car au dehors de l′enceinte urbaine, les courtines sud-ouest et sud-est ont été
non seulement implantées en contrebas de la plateforme rocheuse initiale, mais également renforcées par un apport de
remblais afin d′accroître la résistance mécanique de la maçonnerie 16.
Forme architecturale novatrice en son
temps, ce château-fort présente encore des ouvertures conçues exclusivement pour l′usage de l′artillerie à poudre.
Au total, treize postes de tir se répartissent ainsi sur deux niveaux. Aux étages inférieurs des tours sud et ouest, des canonnières de 25 cm de diamètre surmontées chacune
d′une fente de visée participent au fonctionnement d′un plan de feu rasant adapté au maniement des armes
semi-lourdes, tandis qu′au rez-de-cour, sur les tours est, sud et ouest, ainsi que sur la courtine sud-est, huit
canonnières perçées en allègeEn architecture, l′allège désigne la partie du mur située entre le plancher et l′appui de fenêtre. des fenêtres, de même profil que les précédentes,
mais d′un diamètre inférieur, car destinées à l′usage d′armes plus légères,
forment un second plan de tir 17.
La défense de cette puissante forteresse ducale était enfin renforcée sur la vallée du Trieux par un ouvrage
avancé que la documentation historique, à défaut d′en livrer la forme, les caractéristiques et la localisation,
mentionne sous le nom de « ravelin ». Si l′entrée principale de la forteresse, matérialisée,
semble-t-il, par un simple passage charretier, et non par un châteletDans l′architecture militaire médiévale, le châtelet désigne un ouvrage extérieur maçonné ouvert d′une porte flanquée de deux tours et commandant l′entrée d′une fortification.,
était probablement située du côté de la ville, au nord-ouest, une entrée secondaire était aménagée
au droit de celle-ci, dans la courtine sud-ouest. Au centre de cette dernière, une porte ou poternePorte secondaire aménagée dans une muraille d′une forteresse, donnant généralement sur des douves. partiellement
conservée en élévation présente ainsi deux crapaudinesPièce d′acier fixe, généralement de forme cylindrique, destinée à recevoir l′extrémité du pivot inférieur d′une partie verticale mobile. à la base des piédroits extérieurs,
attestant par là-même l′existence d′un pont-levis qui commandait l′accès à l′ouvrage
défensif en question 18.
1. Ministère de la Culture et de la Communication, base Mérimée, référence PA22089176 : restes du château inscrits par arrêté du 20 janvier 1926.
2. Ces fouilles, réalisées dans le cadre d′un projet d′aménagement d′une salle à vocation culturelle, ont été menées sous la responsabilité scientifique de Laurent Beuchet. Voir BEUCHET, Laurent. Guingamp (22 070) - Le château - Rapport final d′opération, INRAP, février 2006, p. 17-18, 23.
3. GUILLOTEL, Hubert. « Les origines de Guingamp. Sa place dans la géographie féodale », dans MSHAB, t. LVI, 1979, p. 93.
4. BEUCHET, Laurent. op. cit., p. 17, 31-34.
5. Id., p. 27. Voir également TANGUY, Bernard. Dictionnaire des noms de communes, trèves et paroisses des Côtes-d′Armor : origine et signification. Douarnenez, Ar Men-Le Chasse Marée, 1992, p. 77.
6. BEUCHET, Laurent. op. cit., p. 17, 34-55.
7. Id., p. 17, 57-71.
8. Ibid., p. 27 ; Jean-Pierre Leguay précise que la ville de Guingamp était devenue le coeur de l′apanage de Penthièvre sous Charles de Blois, cf. LEGUAY Jean-Pierre. « Guingamp au XVe siècle », dans MSHAB, t. LVI, 1979, p. 102.
9. BEUCHET, Laurent. op. cit., p. 17-18, 73-105.
10. L′existence d′une communauté de bourgeois à Guingamp est attestée dès le début du XIIème siècle. En 1123, cinq de ses bourgeois sont en effet cités comme témoins d′un acte du comte Etienne, cf. GUILLOTEL, Hubert. op. cit., p. 85. Dès le XIVème siècle, cette communauté a obtenu de Charles de Blois un fief territorial collectif et un embryon de municipalité. Outre l′exercice du droit de justice inhérent à tout seigneur, les bourgeois de Guingamp levaient la taille. Cette communauté, dotée de nombreux privilèges, était si influente au XVème siècle qu′elle intervenait dans tous les domaines (entretien des rues, construction de tours, réceptions officielles, garde des clés de la ville, etc.), cf. LEGUAY Jean-Pierre. op. cit., p. 102-111.
11. BEUCHET, Laurent. op. cit., p. 28, 96-97.
12. Id., p. 18 , 97-98, 100-102.
13. Ibid., p. 99.
14. Ibid., p. 79 , 82, 93-94.
15. Ibid., p. 107.
16. Ibid., p. 95.
17. Ibid., p. 95-96.
18. Ibid., p. 17, 74-76, 100.