Les monuments aux morts de la
Première Guerre mondiale



Saint-Agathon, soldat en buste portant le drapeau (2008) Pontrieux, femme en deuil offrant des fleurs (2008) Trégonneau, coq gaulois (2008) Guingamp, la République pleurant ses fils (2008) Ploëzal, veuve et orphelin en deuil (2008) Plouëc-du-Trieux, soldat en buste (2008)
Plouagat, poilu en pied et coq gaulois (2008) Ploumagoar, soldat agonisant (2008) Ploumagoar, la République française victorieuse (2008)


          La vague des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale a probablement été l′une des plus consensuelles qui soit en France au cours de la première moitié du XXème siècle. Cet engouement, aux vertus quasi expiatoires, a d′ailleurs probablement été proportionnel à l′intensité de la tragédie à laquelle furent confrontées les consciences de l′époque.

          Partis pour réhabiliter l′honneur de la France bafoué par la défaite de 1870, persuadés de la rapidité du conflit naissant, les soldats de l′armée française, comme toutes les autres forces belligérantes, ont connu un véritable enfer durant quatre longues années. Les importantes saignées démographiques, les combats dans les tranchées, la boue, les rats, la famine, les déluges d′obus et la course à l′armement symbolisée par la grosse BerthaNom donné par l′armée française à un canon qui fut mis au point par l′usine d′armements Krupp et qui fut utilisé par l′armée allemande pendant la Première Guerre mondiale., comme l′expérimentation de l′ypériteDavantage connu sous le nom de « gaz moutarde », l′ypérite est un gaz synthétisé en 1822. Son nom provient de celui de la ville d′Ypres en Belgique, où il fut utilisé pour la première fois au combat le 11 juillet 1917. Arme chimique voulue comme telle, ce gaz provoquait des cloques sur la peau, attaquait les yeux et les voies respiratoires, entraînant des sequelles irréversibles. et les épisodes de mutineries de l′année 1917 sont autant de réalités spontanément rattachées aux horreurs de ce conflit.

          A la lumière des statistiques, cette guerre fut une effroyable boucherie : la France enregistra ainsi plus de 3 400 000 blessés et mutilés et plus de 1 300 000 soldats décédés 1. Si la Bretagne, région parmi les plus peuplées de l′hexagone à la veille du déclenchement des hostilités, ne fut pas le théâtre des combats, à l′inverse des plaines de la Somme et de la Champagne, elle paya néanmoins un lourd tribut humain à cette guerre.


Un acte de commémoration :

          Erigés à titre d′hommage public dans la quasi-totalité des communes françaises à partir des années Vingt, les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale sont le témoignage matériel manifeste de la reconnaissance de la nation tout entière à l′égard de ceux qui sont morts pour la défendre, et qui, à ce titre, ne doivent pas sombrer dans l′oubli. Leur présence dans le paysage architectural français est principalement le fait d′anciens poilus décidés à agir collectivement pour honorer, durablement et sur tout le territoire national, la mémoire de leurs camarades disparus.

          Constituées durant la guerre ou immédiatement après celle-ci, les associations d′anciens combattants ont été à l′origine du vote de la loi du 25 octobre 1919 relative à la commémoration et à la glorification des morts pour la France au cours de la Grande Guerre. Comme une sorte de prémice à l′édification des monuments aux morts, cette loi institua dans chaque commune la tenue d′un livre d′or portant les noms des soldats morts pour la France et nés ou résidant dans la commune. Si elle prévoyait la construction d′un monument commémoratif national à Paris ou aux alentours, elle incita, en outre, fortement ces mêmes communes à prendre toutes les mesures de nature à favoriser la glorification des soldats morts pour la patrie. La loi du 31 juillet 1920 fixa ainsi par la suite les conditions d′attribution et de calcul du montant des subventions versées par l′Etat aux communes pour l′érection d′un tel monument.

          Oeuvres à forte valeur mémorielle et à fonction éminemment commémorative, les monuments aux morts de la Grande Guerre exercent donc pleinement leur rôle lorsqu′ils sont associés à une célébration nationale, en l′occurrence le 11 novembreC′est le 11 novembre 1918, à Rethondes, en forêt de Compiègne, que fut signé l′armistice qui mit fin à la Première Guerre mondiale entre les Alliés et l′Allemagne. Cette date fut instituée fête nationale par la loi du 24 novembre 1922., date de la signature de l′armistice.


Un référent de la vie civique :

          Lieu de mémoire placé au centre du village, au voisinage de la mairie ou de l′église, parfois entre les deux, porteur d′une symbolique collective, le monument aux morts de la Première Guerre mondiale est un référent de la vie civique.

          Non plus que tout autre, mais au moins davantage, ce type de monument permet d′appréhender le lien intime qui uni l′existant au contexte qui l′a vu naître. Cet aspect est d′ailleurs d′autant plus intéressant, qu′à l′aune de l′histoire de l′humanité, la guerre de 1914-1918 apparaît relativement proche de notre époque - Lazare Ponticelli, le dernier poilu français reconnu officiellement comme tel, est décédé le 12 mars 2008 - et que l′érection des monuments aux morts a légué une documentation écrite importante. Par son ancrage résolument local, en resserrant les liens de la communauté autour d′un passé douloureux ou du moins perçu comme tel, il permet, en outre, de porter un regard collectif sur l′histoire communale et nationale.

          L′étude des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale met également en scène le fonctionnement des collectivités locales et des services de l′Etat - communes et préfecture en l′occurrence - chargés d′initier et de veiller à la mise en oeuvre des projets. Le préfet joua un rôle central dans le processus d′édification des monuments aux morts.

          Bien souvent financés en partie à l′aide de la souscription publique, les monuments érigés, selon la formule consacrée, « à la mémoire des enfants morts pour la France [ou] pour la Patrie », ont fait systématiquement l′objet d′une délibération du conseil municipal qui inscrivait cette dépense au budget de la commune. Les projets retenus devaient alors passer au crible d′une commission de contrôle départementale constituée de personnes qualifiées, à l′instar des sculpteurs Elie Le Goff ou Yves Hernot dans les Côtes-du-Nord. Il incombait à cette commission d′émettre un avis favorable ou défavorable au regard de critères fixés par une commission nationale. Ainsi, en vertu de l′article 28 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Eglises et de l′EtatLa loi de séparation des Eglises et de l′Etat, instaurant le principe de laïcité en France, fut votée à l′initiative du député socialiste Aristide Briand. Les principes de cette loi confinant l′exercice des pratiques religieuses à la sphère privée, sans distinction de confession, sont contenus dans les deux premiers articles :
- « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes » (article 1),
- « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte » (article 2).
, les insignes religieux ne pouvaient théoriquement figurer sur un monument dont le projet prévoyait qu′il fut érigé sur la voie publique 2. Revêtus de l′approbation de l′autorité préfectorale, les projets donnaient lieu à la rédaction d′un traité de gré-à-gré entre la commune, d′une part, représentée par le maire, et le maître-d′oeuvreCelui qui conçoit le monument (sculpteur, entrepreneur, architecte, etc.), d′autre part, incluant un cahier des charges ainsi qu′un délais de livraison. Une fois livré, le monument faisait ensuite l′objet d′un procès-verbal de réception définitive de l′oeuvre dressé en présence du maire, d′un ou de plusieurs de ses adjoints, et du maître-d′oeuvre. Dans tous les cas, l′édification d′un tel monument donnait lieu à une inauguration, aussi modeste soit-elle, suivie parfois d′un banquet républicain. Au gré des sensibilités locales, l′inauguration donnait également lieu à l′organisation d′une cérémonie religieuse (messe et bénédiction), soit de concert avec l′inauguration officielle, soit en marge de celle-ci.


Plouisy, plaque commémorative (2008)


          En dehors de la souscription publique et de l′inscription de cette (lourde) dépense au budget de la commune, les municipalités reçurent également, comme indiqué précédemment, des subventions de l′Etat en vertu de la loi du 31 juillet 1920. L′article 81 de cette loi précisait ainsi que le montant de l′aide versée aux communes était calculé selon le nombre de soldats morts par rapport au nombre d′habitants de la commune connu d′après le recensement de 1911.


Ploumagoar, extrait du formulaire de demande de subvention versée par l′Etat pour la construction du monument aux morts, novembre 1921 (source : Archives départementales des Côtes-d'Armor ; 2008)


La production :

          Erigés principalement entre 1920 et 1925, les monuments aux morts de la Grande Guerre ont donné lieu à une production variée, allant de la simple stèle ou de la simple plaque commémorative apposée sur un mur à la composition monumentale d′un artiste, en passant par une large gamme d′oeuvres de série ou préfabriquées figurant dans des catalogues de fonderies mis à la disposition des commanditaires (Union artistique de Vaucouleurs, Durennes, Val-d'Osne, etc.). La forme, la taille et l′ornementation des monuments aux morts étaient conditionnées par les ressources dont disposaient ces mêmes commanditaires.

          En revanche, que ce soit dans sa version la plus minimaliste, rencontrée généralement dans les communes les moins peuplées, ou dans sa version monumentale, en secteur urbain par exemple, le monument présente systématiquement une inscription commémorative associée à la liste des noms des victimes de la Grande Guerre, figurant souvent en lettres dorées ou couleur sang, classés soit par ordre chronologique de disparition, soit par ordre alphabétique ou les deux combinés. Dans un souci d′égalitarime procédant d′une guerre de masse, les grades ou les distinctions ne figurèrent que très rarement sur ces monuments.


Plouagat, inscription commémorative (2008)
Plouëc-du-Trieux, liste nominative des soldats décédés (2008)


          Le type de monument aux morts le plus répandu fut sans conteste le monument en forme d′obélisque. Le discours prédominant de l′époque tendant à l′héroïsation des victimes, et ce probablement dans une optique d′exhaltation de la patrie à des fins de légitimisation à posteriori du conflit et des pertes humaines massives, les monuments aux morts furent aussi le prétexte à la mise en scène de figures spécifiques, tel le Coq gaulois, telles Jeanne d′Arc, la République triomphante ou les allégories de la Victoire. Cette guerre ayant été la « guerre du plus grand nombre », la production mit également l′accent sur la figure du Poilu. Le monument aux morts fut enfin l′emplacement de choix de toute une série de signes et d′attributs spécifiques à l′armée et à la guerre (croix et médailles de guerre, palmes de lauriers et de chênes, ancre, épée, etc.).


Saint-Agathon, monument aux morts en forme d′obélisque (2008) Trégonneau, monument aux morts en forme d′obélisque (2008)
Plouagat, monument aux morts en forme d′obélisque (2008) Lanvollon, Jeanne d′Arc portant l′étendart (2008)


          Mais, la vague des monuments aux morts de la Grande Guerre laissa aussi une place à la création artistique, à condition que celle-ci ne dérogea pas aux prescriptions en vigueur. Cette création teintée d′intimisme, de tendresse et d′humanité, davantage ancrée dans les terroirs, fit ainsi la part belle, du moins en Bretagne avec les oeuvres de Pierre Lenoir, Francis Renaud, René Quillivic ou Armel Beaufils, à l′expression de la douleur que connurent alors bien des épouses, des pères, des mères et des enfants face à la perte d′un être cher. D′autres, à l′instar du sculpteur Galy à Guingamp, optèrent pour la thématique de la République pleurant la perte de ses enfants.


Pontrieux, Pontrieux, femme en deuil offrant des fleurs  (2008) Guingamp, la République pleurant ses fils (2008)

Voir le monument aux morts de la guerre 1914 - 1918 de :

Guingamp
Ploumagoar
Ploëzal


1.  MEMOIRE DES HOMMES. Les morts pour la France de la guerre 1914-1918 [en ligne]. Disponible sur : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr (pages consultée le 14 septembre 2008).

2.   Loi 1905-12-09 art. 28 : « Il est interdit, à l′avenir, d′élever ou d′apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l′exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». Disponible sur : http://www.legifrance.gouv.fr (pages consultées le 20 juillet 2009).


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2008-2009